Un point de vue linguistique
Sans rentrer dans les nitty gritty de la chose et hors mis le fait que les méthodes d'enquête pour établir ces taux sont souvent problématiques, ces statistiques seront encore plus faibles si l'on considère que seuls les individus de plus de 18 ans peuvent voter. On retiendra comme définition simple que le taux d'alphabétisation signifie la capacité de savoir lire et écrire.
La politique linguistique du Burkina est une qui essaie de pallier au problème de faible taux d'alphabétisation de la population en sa manière. Cette politique, étant essentiellement basée sur l'enseignement du Français, langue étrangère, pose de sérieux problèmes sur plusieurs plans.
De façon subconsciente, elle fait croire aux populations et surtout la classe instruite que si un individu ne parle pas français, et le bon, ce dernier n'est pas détenteur de "connaissance," et suivant la même logique pas qualifié pour participer à un processus démocratique. D'ailleurs, c'est la raison pour laquelle beaucoup de commentaires sur les articles du lefaso.net qualifient la masse, et par masse la portion de la population ne sachant lire ou écrire, comme étant incapable de comprendre la chose.
Quand bien même ces analyses seraient cruelles et certainement pas démocratiques, elles ont quand même un degré de validité dans notre contexte actuel. Si la politique linguistique du Burkina avait comme agenda d'enseigner aux femmes et hommes du pays à lire et à écrire non seulement en français mais aussi dans les langues locales qui sont majoritairement parlées, aujourd'hui ce problème d'alphabétisation, le savoir lire et écrire, se serait beaucoup atténué.
Sachant qu'il est plus facile d'apprendre à lire et à écrire dans sa langue maternelle si les moyens didactiques sont réunis, les systèmes d'écriture établis et vulgarisés, les encadreurs formés et bien rémunérés, beaucoup de nos frères et soeurs que la classe instruite traite aujourd'hui d'illettrés seraient à mesure d'avoir accès à l'information par d'autres canaux, notamment les textes écrits en langues locales.
Avec plus de concitoyens et concitoyennes sachant lire et écrire dans nos langues nationales, on ne pourrait que constater une effervescence de productions de textes en langues nationales. On aurait par exemples des romans en Jula, des annonces écrites en Mooré, des livres de contes en Bissa, des traductions de la constitution en San, des manuels d'élevage en Fulfuldé, etc. vulgarisés et accessibles aux populations.
Cela allait également créer un écosystème favorable au maintien et á l'épanouissement de nos langues. Pour ceux qui croient que cette proposition est utopique, il faut rappeler que nos langues nationales sont déjà utilisées en oral notamment pour véhiculer l'information, et ce de façon pertinente. Suivre le journal parlé en Mooré est souvent plus instructif que le suivre en français, du moins pour beaucoup. De même, suivre les communiqués en Jula par Josselin Sanou est très souvent plus informatif que les suivre en Français. La proposition est que du médium parlé, il aurait fallu transiter au médium écrit en le développant et en le vulgarisant.
Quelles sont les répercussions de cet état des faits sur la situation nationale actuelle du Burkina Faso, notamment sur les propositions de modification des articles 37 et 165 de la constitution Burkinabé par voie référendaire? La question qu'il faut se poser, ou du moins la question que moi je me pose est que, si malgré tous les arguments valides formulés contre la révision de ces articles, on arrivait quand même à une situation de referendum, comment allait se présenter cette proposition dans les urnes?
A en croire ce que je vois dans les médias, cela pourrait prendre la forme d'un NON et d'un OUI et les citoyens devraient choisir une de ces alternatives. Dans ce cas de figure, il faut remarquer que cette formulation est dans son core et par ses ramifications très problématique et subséquemment antidémocratique.
Dans un premier temps, la modalité linguistique de texte écrit ne saurait être une modalité appropriée car au moins 72% de notre population en âge de voter ne savent ni lire ni écrire. Si jamais, il y'a unanimité sur l'adoption de la modalité texte avec le NON et le OUI comme options, il faudra procurer une forme d'accommodation à ceux qui ne savent ni lire ni écrire.
Cette accommodation pourrait prendre la forme d'un visuel, par exemple une photo, en complément de la modalité linguistique écrite. Dans ce cas aussi, il faudra se poser la question à savoir quel visuel utilisé? Est-ce la photo du président Compaoré pour le OUI et celle du chef de file de l'opposition M. Diabré pour le NON? Et si tels sont les options de photos, nous sommes en dehors d'un referendum sur les articles 37 et 165. En outre, faut-il utiliser des symboles arbitraires pour le OUI et le NON et éduquer les populations sur les sens de ces symboles? Par exemple un ANE pour le OUI et un COQ pour NON? Mon point ici est que ces visuels doivent traduire l'essence des articles 37 et 165.
Deuxièmement, résumer toute une proposition de révision de lois par un NON et un OUI serait captieux car en plus de ceux qui ne savent ni lire ni écrire, même une partie de ceux qui peuvent lire et écrire n'aura pas tous les contours de ce que le NON et le OUI représentent.
La forme d'accommodation que l'on pourrait fournir aux électeurs est un texte complet des articles 37 et 165 pour ceux qui savent lire et une bande audio dans nos différentes langues traduisant le contenu des articles en question. Encore, là, ce serait une tentative de décevoir voire piéger le peuple car ce serait comme se prononcer sur une ligne du Coran ou de la Bible sans contexte historique ou sans contexte tout court. Et ça, c'est la meilleure manière de former des fondamentalistes, des radicaux, et des extrémistes.
On pourrait aussi faire usage de traducteurs en langues nationales dans les urnes. Aussi, il faudra se rassurer que ces traducteurs n'aient aucun biais pour un partis politique et qu'ils traduisent le contenu des textes de façon impartiale et fidèle et sans prétention de vouloir persuader les électeurs d'une manière ou d'une autre. Sinon, nous ne serons plus dans le cadre d'un referendum libre et transparent.
La proposition qui serait louable et juste serait d'abord:
- d'éduquer chaque Burkinabè en matière de démocratie
- nous (la masse) enseigner le bien fondé de la démocratie
- nous enseigner les piliers de la démocratie
- nous enseigner le rôle d'une constitution dans une démocratie
- nous faire comprendre que la source de la légitimité du président et de l'état se trouve dans la constitution et non en Dieu
- nous donner le contexte historique des articles 37 et 165
- nous traduire les propositions de changement qui sont sur le point de s'opérer
- et maintenant nous présenter un OUI et un NON avec toutes les accommodations appropriées avant que nous puissions nous prononcer.
Si le gouvernement est à mesure de remplir les conditions ci-desus, chose qu'il devrait faire depuis longtemps et chose qu'il n'est plus en mesure de faire maintenant vu les brefs délais, alors convoquer un referendum en ce moment serait égale à tromper le peuple. Ce serait nous demander de nous exprimer par des moyens linguistiques qu'une majorité absolue ne maitrise pas, nous demander de nous prononcer sur des questions sans vraiment nous donner tous les contours et contextes, et abuser de notre ignorance qu'il a longtemps et ardemment travaillé à nourrir. Le processus démocratique, surtout à travers un instrument comme le referendum, présuppose que le peuple à l'information réelle, c'est-à-dire l'information complète et l'information dans son contexte.
Si le peuple dispose de telles accommodations, son point de vue se trouvera complètement changer et beaucoup seront choquer des résultats de ce referendum.